Sommaire
1 – Constitution et système institutionnel
La République du Tchad vient d’adopter par voie parlementaire une nouvelle Constitution en mai 2018, laquelle institue un régime présidentiel (la précédente Constitution avait mis en place un régime semi-présidentiel). Cette nouvelle Constitution marque le passage à la IVème République.
Il s’agit d’un régime présidentiel intégral, sans vice-président ni Premier ministre. Le pouvoir exécutif est donc partagé entre le Président et les ministres. Les ministres nommés par le Président prêtent serment devant lui et le Président peut déléguer certains de ses pouvoirs aux ministres.
La Constitution dispose, désormais, que le mandat présidentiel est de 6 ans, renouvelable une fois (sous l’empire de la précédente Constitution, le mandat était de 5 ans renouvelable indéfiniment).
Le gouvernement est responsable (sauf dans les conditions et procédures prévues aux articles 109, 112, 144 et 14) devant l’Assemblée nationale et les députés sont élus au suffrage universel direct. Les prochaines élections législatives auront lieu en principe en novembre 2018. Il n’existe pas de chambre haute.
Le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif. Le président de la République préside le Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Le CSM propose la nomination et l’avancement des magistrats. Les magistrats sont nommés par le président de la République après avis conforme du CSM. La discipline et la responsabilité des magistrats relèvent de la compétence du CSM. Seuls, les magistrats du siège sont inamovibles.
2 – Système juridique
Le droit tchadien est d’inspiration romaine. En vertu de la Constitution, les lois prévalent sur les coutumes. Cependant cette primauté est rarement respectée. A l’Est, les règles coutumières, largement inspirées du droit islamique, sont appliquées pour nombre d’infractions.
Les Tchadiens font majoritairement appel aux coutumes pour trancher leurs différends. La codification n’étant pas encore achevée, l’application des coutumes exige le consentement des parties dans les affaires de famille et de succession.
Chaque communauté a ses coutumes et ses chefs traditionnels reconnus par la Constitution.
Dans la pratique, les justiciables ont tendance à faire appel dans le même contentieux à une juxtaposition de droits de nature différente : laïc, religieux et coutumier.
En matière d’état civil, la réglementation existe (règles du code civil français de 1958 complétées par l’ordonnance tchadienne du 2 juin 1961), mais n’est pas bien appliquée.
3 – Organisation judiciaire
Le Tchad ne connait qu’un seul ordre de juridiction. Il est constitué de la Cour suprême, des cours d’appel, des tribunaux de grande instance et de leurs sections, des justices de paix, du tribunal du travail et des cours criminelles (article 142).
➢ Les tribunaux de grande instance, au nombre de 28, sont juges de droit commun en matière civile et commerciale. Ils sont également juges correctionnels et de police. La justice de premier degré est également traitée par 34 justices de paix et quatre tribunaux de commerce.
➢ Les Cours criminelles sont des juridictions non permanentes appelées à juger les crimes dont elles sont saisies conformément aux dispositions du Code de procédure pénale. Les Cours criminelles sont composées de magistrats professionnels et d’assesseurs.
➢ Les Cours d’appel, au nombre de quatre, sont à la fois une juridiction de cassation et une juridiction d’appel. Elles sont composées de cinq chambres : une chambre civile et coutumière, une chambre correctionnelle, une chambre d’accusation, une chambre sociale, et une chambre administrative et financière.
➢ La Cour suprême est la plus haute cour de l’Etat. Elle comprend une chambre judiciaire et une chambre administrative. La Cour suprême est composée de 16 membres dont un président et 15 conseillers. Elle statue sur les pourvois en cassation formés contre les décisions des cours d’appel. Elle est en outre compétente en premier et dernier ressort pour statuer sur les recours pour excès de pouvoir dirigés contre les décrets, arrêtés et autres actes.
➢ La Haute Cour de justice est compétente pour juger le Président de la République, les membres du gouvernement et leurs complices en cas de haute trahison.
Le Conseil Constitutionnel est une création relativement récente dans l’histoire constitutionnelle tchadienne (1998). Le Conseil est composé de neuf membres dont trois magistrats et six juristes de haut niveau (deux magistrats et trois juristes désignés par le Président de la République et un magistrat et trois juristes désignés par le Président de l’Assemblée nationale). Le mandat des membres est de neuf ans. Le Conseil est renouvelé par tiers tous les trois ans.
Le Conseil Constitutionnel est juge de la constitutionnalité des lois, des traités et des accords internationaux. Il veille à la régularité des opérations de referendum et en proclame les résultats. En outre, il règle les conflits d’attribution entre les institutions de l’Etat.
Il peut être saisi par le Président de la République, le Premier ministre, le Président de l’Assemblée nationale ou par 1/10eme des députés. Il peut également être saisi par les citoyens mais dans le cadre d’un contrôle a posteriori, par la voie de l’exception d’inconstitutionnalité.
Le groupe de travail sur les réformes institutionnelles qui a remis son rapport en 2017 préconise une ouverture plus large de la saisine directe du juge constitutionnel pour les citoyens.
4- Les magistrats et personnels judiciaires
L’accès à la magistrature se fait par concours. Il est ouvert aux titulaires d’une maîtrise en droit.
La nouvelle école de formation des personnels judiciaires (ENFJ) en activité depuis 2011 permet de former des promotions de magistrats. L’ENFJ dispense une formation technique et pratique sur une durée de 90 semaines.
Il existe environ 500 magistrats et 230 greffiers (chiffres 2015). Ce nombre de magistrats est objectivement insuffisant pour 11.5 millions d’habitants.
Le Tchad souffre aussi d’un déficit d’avocats. Il en existe moins de 200 pour tout le pays.
5 – Justice des mineurs
Le Tchad connaît une spécialisation en matière de justice des mineurs. Il existe au premier degré et en appel des chambres pour enfants.
Le nouveau code pénal entré en vigueur en 2017 réforme aussi la justice pénale des mineurs.
Jusqu’à l’âge de 13 ans, le mineur ne peut faire l’objet que de mesures d’assistance, de protection et d’éducation. Entre 13 et 15 ans il peut faire l’objet notamment d’un placement ou d’une mesure de liberté surveillée. Entre 15 et 18 ans, il peut être condamné à une peine d’emprisonnement ou d’amende, mais bénéficiera de l’excuse atténuante de responsabilité.
Le Gouvernement tchadien entend développer les centres d’accueil spécialisés pour mineurs, conformément à l’esprit de la loi sur l’administration de la justice pour mineurs adoptée le 28 mai 1998.
Le Tchad a ratifié presque toutes les conventions internationales et protocoles relatifs aux droits de l’enfant.
L’âge minimal pour le mariage est fixé à 18 ans. Une loi votée en 2015 interdit le mariage entre mineurs.
6 – Système pénitentiaire
Le système carcéral tchadien, qui compte 39 établissements, souffre de surpopulation. On comptait en 2015, une population carcérale d’environ 8.000 détenus (chiffres World prison Brief 2015).
7 – Actualité judiciaire
– Loi contre le terrorisme (2015)
En juillet 2015, l’Assemblée nationale a adopté une nouvelle loi portant répression des actes de terrorisme. Cette loi donne une définition assez large de l’acte terroriste.
Le texte prévoit la peine de mort pour les crimes les plus graves.
La durée pendant laquelle un suspect peut être détenu avant d’être déféré à un tribunal est passée de 48 heures à 30 jours, période renouvelable deux fois par le procureur.
Le Tchad a institué une cellule de coordination contre le terrorisme, regroupant des agences d’application de la loi et des magistrats afin de faciliter le partage d’informations sensibles, lesquelles sont regroupées au sein d’une base de données sécurisée.
L’ONUDC et les autorités tchadiennes ont développé un programme triennal (2016-2018) aux fins de coordonner les réponses contre le terrorisme.
– Réforme de l’organisation judiciaire (2013)
– La réforme de 2013 fait obligation aux chambres des juridictions de statuer en collégialité. Cependant, il est possible de revenir au juge unique, lorsque les effectifs des magistrats sont trop faibles dans certaines juridictions.
– Le nouveau Code de l’organisation judiciaire introduit la responsabilité encourue par l’Etat du fait du fonctionnement défectueux du service de la justice (lorsque par exemple le juge a tardé à statuer sur une mesure urgente). La procédure doit être portée devant la Cour suprême.
On ajoutera qu’en 2014, la réforme judiciaire a été complétée par la création d’une Cour des comptes, composée de 31 membres répartis au sein de cinq chambres. Le mandat des magistrats à la Cour des comptes est de cinq ans.
– Nouveau Code pénal de 2017
Le nouveau code pénal était annoncé depuis 2014. Il est entré en vigueur en 2017. Il a supprimé la peine de mort (laquelle est toutefois maintenue pour les délits terroristes dans une loi annexe, la loi n°34/PR/2015 du 05/08/2015 portant répression des actes de terrorisme portant).
– Travaux du forum national inclusif sur les réformes institutionnelles de 2018
Un rapport piloté par le Haut comité des réformes institutionnelles et le groupe de travail sur les réformes institutionnelles – comportant une soixantaine de propositions – a été transmis au chef de l’Etat en mars 2018. Ce rapport a fait l’objet d’un examen lors du forum national inclusif sur les réformes institutionnelles et a été très bien accueilli.
Ce rapport propose une réforme profonde de la justice avec la création d’une justice militaire et de cours de répression des crimes économiques. La Cour des comptes, le Conseil constitutionnel et la Haute Cour de justice ont étés réduits en chambres de la Cour suprême.
Le rapport insiste aussi sur la nécessité de réviser la carte judiciaire et de spécialiser les acteurs pour avoir une justice forte et indépendante.
Il est enfin proposé de renforcer l’indépendance du CSM en en confiant la présidence à un haut magistrat à la retraite (ou en fonction) pour respecter le principe de séparation des pouvoirs. Cette proposition n’a pas été prise en compte.
D’autres propositions du rapport, reprises au forum, concernent le droit constitutionnel et les institutions administratives :
. Sont préconisées la réalisation d’un véritable statut de l’opposition, la soumission obligatoire au Conseil constitutionnel de toutes les lois qui concernent les libertés individuelles ainsi que la constitutionnalisation de la Commission nationale des droits de l’homme.
. Il est suggéré une réduction de la moitié du nombre des régions ainsi que la suppression des grandes institutions jugées budgétivores, telles que le Médiature de la république, le Conseil économique et le Collège de contrôle des revenus pétroliers. A l’exception du Conseil économique Social et culturel, les deux structures citées ont été effectivement supprimées. Le nouveau découpage administratif est revenu aux anciennes 14 préfectures avec l’éclatement du Borkou-Ennedi-Tibesti en trois provinces ; N’Djaména conserve son statut particulier en étant une province à part entière. Au total, cela donne 17 provinces au lieu de 23 régions par le passé.
Le chef de l’Etat a déclaré lors de ce forum être désireux d’introduire la règle de la parité homme/femme au sein des différentes instances de prise de décision. Il a également formulé le vœu ardent de voir matérialiser dans les meilleurs délais les différentes conclusions de cette rencontre qualifiée « d’historique ». En effet, ce vœu a été matérialisé par l’ordonnance N°12/PR/18 du le 22 mai 2018 instituant la parité dans les fonctions nominatives et électives en République du Tchad.
Les participants au forum ont aussi opté pour un Etat unitaire fortement décentralisé. Il est notamment recommandé la mise en place d’un Haut conseil des collectivités décentralisées et des chefferies traditionnelles. L’ordonnance n°14/PR/18 portant organisation et fonctionnement du Haut Conseil des Collectivités Autonomes et des chefferies traditionnelles du 25 mai 2018 a entériné ce vœu.
– Lutte contre la corruption
Le gouvernement vient de mettre en place un numéro vert – le « 700 » – pour lutter contre la corruption et les détournements de fonds. Le lancement du numéro vert permet à chaque opérateur économique ou à tout individu d’alerter l’Inspection générale des finances pour dénoncer tout agent qui chercherait à se faire corrompre dans le cadre de la délivrance d’un papier administratif ou le paiement d’une taxe.