Dans l’ensemble des pays étudiés, il existe des dispositions permettant d’accorder avantages et protection aux personnes ayant collaboré avec la justice soit en empêchant la commission ou la poursuite d’une infraction soit encore en permettant d’élucider des faits ou d’identifier les auteurs ou complices d’une infraction.
Quelle que soit la forme de cette collaboration, les dispositions applicables varient selon le profil du délinquant, l’importance du bénéfice de cette collaboration et celle du danger qui en résultera pour le délinquant.
La collaboration du mis en cause est donc tout d’abord prise en compte dans le cadre de son traitement judiciaire tant au niveau des poursuites qu’au moment de la condamnation. Elle se traduit parallèlement par la mise en place de mesures de protection susceptibles d’être accordées au cours de la procédure. Certaines mesures de protection sont susceptibles de s’appliquer au-delà du temps de la procédure pénale, soit parce qu’elles prennent la forme de mesures d’aide à la réinsertion, soit parce qu’elles consistent à assurer au repenti un changement d’identité ou de résidence.
Dans certains pays, un certain contrôle des mesures de protection octroyées a été mis en place. En Italie, celles-ci sont régulièrement évaluées afin d’en retirer le bénéfice en cas d’incident ou lorsque le danger a cessé. En Allemagne, un projet de loi en cours d’examen par le Parlement prévoit de limiter les avantages accordés aux repentis au cas où les informations fournies par l’intéressé concernent des faits « présentant un lien avec l’infraction qui lui est reprochée », pour éviter les manipulations consistant à dénoncer des infractions sans rapport avec l’objet de l’enquête afin de solliciter le statut de repenti. Des sanctions sont ainsi prévues pour ceux qui, dans le but de bénéficier du régime juridique des repentis dénonceraient une infraction imaginaire (3 mois à 5 ans d’emprisonnement) ou effectueraient une dénonciation calomnieuse (6 mois à 10 ans d’emprisonnement, 3 mois à 5 ans dans les cas les moins graves).
En milieu fermé, les mesures de protection rapportées dans les pays étudiés portent essentiellement sur la mise en place d’un régime de détention provisoire adapté, le repentir devenant plutôt une condition nécessaire à l’octroi d’une mesure de libération conditionnelle s’agissant des détenus condamnés définitivement (Espagne).
Seuls quatre pays (Canada, Allemagne, Italie et Pays-Bas) ont défini un statut spécifique du « repenti » ou « collaborateur de justice » qui se différencie du statut de « témoin protégé ». Dans les autres pays, la protection mise en œuvre sera appliquée sans distinction de statut, par assimilation du repenti au témoin, qui bénéficiera alors des dispositions applicables à ce dernier.
En Italie, le statut spécifique des repentis se distingue de celui des témoins en ce sens que les premiers ont été membre d’une organisation criminelle ou mafieuse alors que les seconds n’ont généralement pas de passé pénal.
Aux Pays-Bas dans la majorité des cas, le repenti bénéficie du statut de témoin menacé. Néanmoins, a été adopté un cadre légal pour la protection des collaborateurs de justice en 2005. Des dispositions relatives aux repentis ont donc été introduites dans le code pénal et le code de procédure pénale.
En Allemagne, les textes distinguent selon le même critère repenti et témoin. Pour autant, la reconnaissance du statut de repenti ne garantit pas le droit à une protection dont la nécessité est appréciée au cas par cas.
Au Canada, la protection des « témoins repentis » ne relève pas d’un régime législatif spécifique mais intervient sur proposition des services de police et après négociation entre l’autorité de poursuite et le délinquant.
Dans la quasi totalité des pays étudiés, les incriminations pour lesquelles les mécanismes de protection ont vocation à s’appliquer relèvent le plus souvent des infractions relatives à la législation sur les produits stupéfiants, au terrorisme, et à la criminalité organisée. D’autres domaines sont aussi concernés, parmi lesquels le blanchiment (Brésil, Allemagne), et la délinquance économique.
Dans la majorité des pays étudiés, des programmes de protection sont définis et encadrés par des services centraux des Ministères de la Justice. En Allemagne, les programmes de protection sont mis en œuvre par un service de police spécialisé relevant du Ministère de l’Intérieur. La décision d’accorder le bénéficie d’une protection peut être prise par le juge (Espagne), par le Ministère de la Justice après avis d’un service de police spécialisé dans la prise en charge des repentis (Etats-Unis), par une commission ad hoc composée de représentants de la police et du Ministère Public (Canada, Italie), par la seule autorité de poursuite (Royaume-Uni) ou encore le Ministère Public sous contrôle du juge (Pays-Bas). La décision d’accorder une protection pourra parfois être formalisée par la signature d’un protocole (Canada, Royaume-Uni).
1 – Le traitement judiciaire des repentis
Dans tous les pays étudiés existent des mécanismes permettant à l’autorité de poursuite ou au juge de prendre en compte la collaboration du délinquant. Dans les pays anglo-saxons, une « immunité des poursuites » peut être octroyée sous certaines conditions.
1.1 Abandon des poursuites
Aux Etats-Unis, le Procureur a la possibilité d’accorder une immunité de poursuite en échange d’un témoignage à charge contre d’autres personnes, afin d’éviter la commission d’un crime ou d’un délit, ou dans le but de permettre d’arrêter des suspects. Le droit américain prévoit deux types d’immunités : celle dite « transactionnelle » (transactional immunity ou blanket immunity) qui permet à la personne poursuivie d’échapper à toute poursuite liée au contenu de son témoignage et celle dite « d’usage » (use immunity) qui ne met pas fin aux poursuites mais permet d’écarter le témoignage comme charge de l’accusation. Au niveau des Etats, les Procureurs offrent plus facilement l’immunité d’usage; en revanche, au niveau fédéral, l’immunité transactionnelle est plus souvent accordée. La personne bénéficiant de l’immunité de poursuites devient alors un témoin et non un accusé. Elle ne peut refuser par la suite de témoigner sous peine d’être coupable de manquement à la Cour (contempt of court). Il y a donc une obligation de coopérer avec la justice en échange de cette immunité.
Au Royaume-Uni, le choix d’accorder l’immunité relève du pouvoir discrétionnaire du Procureur. Il doit prendre sa décision en respectant les critères énoncés par l’Attorney General dans une réponse écrite à la Chambre des Communes le 9 novembre 1981 : d’une part l’intérêt de la Justice dans le sens où il doit être plus intéressant pour le Crown Prosecution Service d’avoir comme interlocuteur la personne en cause comme témoin plutôt qu’en tant que suspect et d’autre part la sûreté et la sécurité publique dans le sens où le gain d’informations obtenues sur l’étendue et la nature d’activités criminelles doit être plus important qu’une éventuelle condamnation. Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire quant à l’octroi d’une immunité totale ou partielle du complice, le Procureur doit mesurer les avantages de l’adoption de l’immunité pour le déroulement de l’enquête à travers un test dont les éléments sont énumérés par le Quenn’s Evidence Immmunity et qui s’imposent aux organismes de poursuites. Il en résulte que les renseignements fournis par le complice devenu témoin constituent un réel apport pour l’enquête et qu’il serait difficile de recueillir ces éléments d’une autre manière, notamment par un autre témoin. Il faut également tenir compte de l’attitude de ce témoin-complice dans sa coopération à l’enquête, comme de son attitude passée dans ses éventuels contacts antérieurs avec la police. On doit ainsi pouvoir établir sa crédibilité. En effet, il faut que le recours à ce témoin-complice présente un intérêt tout particulier, puisqu’il bénéficie d’une immunité totale ou partielle. C’est ce que précise la notion utilisée d’intérêt de la justice, auquel il est fait référence dans les documents relatifs à l’immunité. Ce complice qui devient témoin peut bénéficier de l’assistance d’un avocat. Un engagement écrit est signé entre les parties. Il est possible pour les services de poursuite de notifier une révocation de l’immunité dans le cas où le complice devenu témoin ne respecterait pas l’engagement qu’il a signé. L’engagement écrit doit en effet énoncer de façon très claire les conséquences du non-respect de l’accord.
En Allemagne, le statut juridique des repentis résulte d’une construction progressive, l’abandon des poursuites est une possibilité pour le Ministère public fédéral depuis 1982 en matière de stupéfiants, étendue aux organisations terroristes en 1989, à la matière du blanchiment d’argent en 1992, à l’association de malfaiteurs en 1994. La loi du 9 juillet 2009, modifiant le code pénal, généralise le système à tous les faits relevant de la criminalité organisée et des atteintes volontaires à la vie.
1.2 Dispense de peine ou conversion en mesures restrictives de liberté
En Allemagne, le juge peut prononcer une dispense de peine dans toutes les matières où l’abandon des poursuites est prévu mais le tribunal ne peut prononcer une dispense de peine que lorsque l’infraction est punie d’une peine d’emprisonnement limitée dans le temps et que son auteur n’a jamais purgé une peine d’emprisonnement supérieure à trois ans.
Au Brésil, si l’auteur, le coauteur, ou complice collaborent spontanément avec les autorités en donnant des informations conduisant à l’élucidation des infractions pénales et la découverte de leurs auteurs, ou à la localisation de biens, droits ou valeurs, le juge pourra transformer une peine d’emprisonnement en mesure restrictive de liberté exécutée « ab initio » en milieu ouvert ou encore, lorsqu’il s’agit de délinquants primaires, prononcer une dispense de peine.
1.3 Réduction de la durée de la peine
La totalité pays étudiés prévoit des mécanismes de réductions du quantum de peine lors de son prononcé. Au Canada, aux Pays-Bas et en Italie, cette réduction de peine prononcée par le juge nécessite la formalisation d’un accord préalable entre le mis en cause et les autorités de poursuite.
S’agissant des réductions de peine octroyées après condamnation, une forme d’obligation de repentir peut être exigée des condamnés pour terrorisme en Espagne alors qu’en Italie la prise en compte du repentir n’entraînera l’octroi d’une libération conditionnelle qu’après un temps d’incarcération incompressible.
Au Brésil, la loi prévoit une réduction d’un à deux tiers de la peine encourue pour certaines infractions et dans certaines circonstances (dénonciations permettant un démantèlement effectif d’associations de malfaiteurs en ce qui concerne les crimes crapuleux, aveu spontané à l’autorité policière du schéma délictuel pour les crimes fiscaux et économiques, collaboration spontanée permettant de fournir des éclaircissements sur les circonstances des infractions commises et leurs auteurs s’agissant de la criminalité organisée, dénonciation permettant aux autorités de faciliter une libération en cas de séquestration, coopération dans le cadre de l’enquête pénale ou de la procédure judiciaire en identifiant les autres coauteurs et complices, aide à la récupération au moins partielle du produit du crime s’agissant du trafic de drogues).
Aux Etats-Unis, le repentir est pris en compte quelle que soit l’infraction commise. Il n’existe pas de régime spécifique pour la criminalité organisée ou le terrorisme, mais le système fédéral prévoit qu’un accusé peut voir sa peine réduite s’il accepte sa responsabilité et s’il coopère avec la justice. Le repentir d’un accusé permet ainsi au juge de prononcer des peines dont le quantum est inférieur aux recommandations des guidelines déterminées par la Sentencing Commission, de prononcer une peine inférieure aux minimums prévus pour certaines infractions. La plupart du temps, les juges des Etats fédérés prennent également en compte le repentir mais cela dépend de la législation de chaque Etat.
En Espagne, le juge a la possibilité de prononcer une peine plus clémente que celle normalement prévue pour l’infraction considérée, mais ne peut pas accorder une remise totale de peine. La règle est donc la même que celle qui est applicable lorsque des circonstances atténuantes sont reconnues.
Le jugement octroyant une réduction de la peine doit être motivé. Après condamnation, une mesure de libération conditionnelle peut être accordée aux détenus qui ont purgé les trois quarts de leur peine, à condition que leur conduite le justifie. Les personnes condamnées pour une infraction relevant de la criminalité organisée ou du terrorisme ne pourront bénéficier d’une telle mesure que si elles remplissent deux conditions : avoir abandonné sans équivoque possible les objectifs et les moyens du terrorisme, avoir collaboré de façon active avec les autorités, que ce soit pour empêcher la réalisation d’autres infractions par le groupe criminel ou terroriste, pour limiter les conséquences de l’infraction commise ou pour faciliter l’identification, l’arrestation et le jugement de responsables.
En Allemagne, deux régimes juridiques se distinguent. L’un connu sous le nom de « grande réglementation du témoin de la couronne », pour lequel les mesures peuvent consister alternativement pour des infractions semblables soit à une réduction de peine, soit à une dispense de peine. L’autre système est celui de la « petite règlementation » figurant respectivement dans la loi sur les stupéfiants et dans le code pénal. Cette « petite règlementation », prévoit dans des termes moins détaillés, non une immunité mais une faculté d’atténuation de la peine par la juridiction de jugement, résultant des dispositions : de la loi sur les stupéfiants, et du code pénal (StGB) en matière d’espionnage, d’association de malfaiteurs, et d’association de malfaiteurs terroriste. L’auteur d’une infraction punie d’une peine d’emprisonnement aggravée ou de la réclusion à perpétuité pourra voir sa peine atténuée, sans infliger cependant une peine inférieure à 10 années d’emprisonnement si la réclusion à perpétuité était encourue.
Au Canada, en contrepartie de la collaboration du témoin repenti, certains avantages lui sont accordés. Le contenu de l’entente varie d’un témoin repenti à un autre, mais de manière générale les avantages accordés portent sur la réduction d’accusation ou de peine.
Aux Pays-Bas, des dispositions relatives aux repentis introduites en 2005 dans le code pénal et le code de procédure pénale décrivent une procédure au cours de laquelle le procureur et la défense peuvent parvenir à un accord, par lequel un mis en cause accepte de témoigner contre un autre mis en cause en échange de la promesse que le procureur réduira la peine qu’il entend requérir devant le juge à la fin du procès. Le juge doit s’assurer que les conditions légales pour un tel accord sont réunies, soit d’une part un témoignage substantiel dans un dossier criminel d’importance, et d’autre part la promesse de requérir une peine réduite à la moitié de celle qui devrait être appliquée. Les principes de proportionnalité et de subsidiarité s’appliquent. Le tribunal est libre dans son appréciation de la preuve, des témoignages qui lui sont soumis ainsi que de la décision finale. La loi prohibe une promesse de ne pas poursuivre ou de fournir l’immunité, ou le paiement d’argent au témoin, qui est aussi un suspect. La même procédure peut être utilisée pour la personne, qui est déjà en train de purger sa peine et qui est prête à faire une déposition incriminante contre un défendeur.
En Italie, les collaborateurs souscrivent un « contrat » avec l’Etat fondé sur la communication d’informations internes à l’organisation criminelle en échange d’avantages procéduraux, pénaux et pénitentiaires. Après condamnation, la loi impose que le bénéfice des remises de peines ne s’applique qu’aux détenus ayant purgé un quart de la peine et 10 ans de réclusion en cas de condamnation à perpétuité. La Cour de cassation (décision 12738/2011) a eu l’occasion de rappeler que le statut de collaborateur n’entraîne pas automatiquement de réduction de peine mais qu’il convenait que soit démontré que le collaborateur de justice avait été actif pour empêcher la réalisation des conséquences de certains délits et faciliter le travail d’enquête notamment la capture des auteurs des infractions.
2 – Les mesures de protection
2.1 L’octroi des mesures de protection
Aux Etats-Unis, l’autorité judiciaire en charge du dossier est à l’origine de la demande de protection qu’elle transmet au ministère de la justice. Le formulaire de demande précise le contenu du témoignage qui sera donné, le danger encouru par le repenti et si ce dernier présente un danger pour la nouvelle localité dans laquelle il sera transféré. La demande est ensuite transmise à la police pénitentiaire (les Marshals) qui organise un entretien avec le repenti. Le Procureur assiste également à cet entretien. Les Marshals émettent ensuite un avis sur l’opportunité pour le repenti de bénéficier ou non du programme de protection. La décision sur le placement du repenti dans le programme de protection revient au Ministre de la Justice (Attorney General). Ce dernier prendra en compte l’avis des Marshals, les conclusions du Procureur ainsi que l’évaluation des risques que présente le témoin pour son futur environnement. Il prendra également en considération le casier judiciaire de l’intéressé, les autres options possibles et l’importance ou le caractère crucial du témoignage du repenti dans la procédure. Le repenti ainsi que les membres de sa famille devront alors signer un « Memorandum of Understanging », qui établit les règles du programme de protection, comme par exemple, le fait que l’intéressé ne pourra plus jamais avoir de contact avec sa famille, ou encore l’accord de l’intéressé pour effectuer sa peine d’emprisonnement sous un nouveau nom. Le Memorandum comprend aussi de nombreux conseils sur les habitudes à adopter (continuer à utiliser son prénom, changer de centres d’intérêts, etc.).
Au Canada, dans la pratique, sont souvent mis en balance, d’un côté les avantages et les bénéfices d’un accord avec un repenti et, de l’autre, les coûts engendrés par un accord. L’évaluation doit prendre également en considération plusieurs critères parmi lesquels: la gravité de l’infraction dénoncée, la véracité de la version du témoin repenti et la nécessité de son témoignage, l’existence ou l’importance d’autres éléments de preuve confortant les éléments relatés par le témoin repenti, l’importance du bénéfice que la société peut retirer de la cessation de cette infraction; la nature des demandes du témoin repenti et leur justification, le profil de témoin repenti et le cas échéant un test polygraphique (« détecteur de mensonges »). Si cette évaluation s’avère positive, le Procureur en chef transfère, après en avoir avisé le Directeur des poursuites, le dossier à un « comité de contrôle » qui conclura l’entente avec le témoin repenti. Le Procureur en charge du dossier ne participe donc pas à la négociation de l’entente. Le « comité de contrôle » est chargé par le Ministère Public de négocier et conclure une entente écrite avec le témoin repenti, puis de veiller au respect de cette entente. Au Québec, ce comité est composé d’un représentant du Directeur des poursuites criminelles et pénales, d’un représentant de la Direction générale des poursuites publiques (Ministère de la Justice), d’un représentant de la Direction générale des affaires policières, de la prévention et des services de sécurité (Ministère de la Sécurité Publique) et enfin d’un représentant du service de police concerné. Il s’agit alors de trouver un accord sur le contenu et les contreparties de son témoignage. Si le témoin repenti accepte de collaborer, les autorités exigeront alors de lui une déclaration assermentée.
Au Brésil, il existe au Ministère de la Justice une cellule en charge du suivi des mesures de protection : « la coordination générale de protection aux témoins ». Aux Etats-Unis, la protection des repentis a été organisée dans le cadre d’un programme mis en place par un service du Ministère de la Justice, l’ « Office of Enforcement Operations » et la décision sur le placement du repenti dans le cadre du programme de protection revient au Ministre de la Justice (Attorney General).
En Allemagne, les mesures prises envers les repentis dans les différentes affaires sont regroupées dans un programme de protection des témoins établi par l’autorité policière compétente, la police de protection des témoins (« Zeugenschutzdienststelle »).
Aux Pays-Bas, un programme de protection des témoins menacés a été mis en place en 1995. Celui-ci est mis en œuvre par le département de protection des témoins de la police Nationale (KLPD), lequel est placé sous l’autorité d’un membre du Parquet National spécialement désigné.
Au Royaume-Uni, les services de police locaux assurent l’exécution du suivi mis en place par le Ministère de la Justice et certaines forces de police ont des unités spécifiques composées d’officiers spécialement formés pour protéger les témoins auxquels il a été accordé un accord d’immunité, ou qui se trouvent en danger du fait de leur implication dans la procédure pénale.
En Italie, une commission ministérielle spécifique, dénommée « Commission centrale », a été créée afin d’apprécier le bien-fondé des demandes d’admission ou toute modification ou révocation de mesures de protection dédiées aux repentis. Cet organisme a été institué près du service de coordination et de planification des forces de polices du ministère de l’intérieur par décret conjoint de ce ministère et de celui de la justice. Composée de 8 membres dont deux magistrats ainsi que 5 fonctionnaires et officiers de police choisis pour leur grande expérience en matière de criminalité organisée, elle est présidée par le secrétaire d’Etat à l’Intérieur. L’admission à un programme de protection ou la conversion du plan provisoire doit être motivée par des critères de fiabilité, d’utilité et d’importance des informations communiquées permettant le développement des investigations et des procédures judiciaires. Il est en outre indispensable de démontrer que soit caractérisé un danger grave et sérieux pour l’intégrité physique de l’intéressé ou de ses proches. Les propositions sont formulées par l’autorité judiciaire (parquets anti-mafia ou de droit commun). Mais le chef de la police peut également proposer des candidatures sous certaines conditions. L’avis de la Direction Nationale Antimafia (DNA) et du préfet est obligatoirement sollicité mais ne lie pas la Commission.
Les chiffres extraits du rapport semestriel du service central de protection de juillet 2012 révèlent que le total des collaborateurs et témoins de justice soumis à des mesures de protection au 30 juin 2012 s’élevait à 1.203 personnes (5569 personnes en incluant les familles bénéficiant d’une protection). La commission peut verser une contribution, procéder au paiement du loyer d’un logement, prévoir l’accueil dans des structures sociales, fournir une assistance légale, sanitaire et psychologique. Elle vérifie également périodiquement les programmes de protection (caractère réel et sérieux du danger, conduite de la personne et respect des engagements pris…). Au cours du premier semestre 2011, 27 programmes ont été contrôlés dont 18 ont été prolongés, 1 a été arrêté et 7 ont été révoqués pour violation des obligations. Enfin, un « Service central de protection » rattaché au Ministère de l’Intérieur assure le suivi et la mise en œuvre des mesures de réinsertion sociale et professionnelle dont bénéficient les repentis. Il est en contact avec les autorités judiciaires et policières ainsi qu’avec les administrations intéressées et notamment l’administration pénitentiaire. Il dispose à cette fin de quatorze cellules opérationnelles réparties sur le territoire italien.
2. 2 La typologie des mesures de protection
Les mesures d’escorte policière
Dans la majorité des pays étudiés, une protection rapprochée ou une escorte policière, souvent spécialisée, est assurée au repenti durant ses transfèrements ainsi qu’un régime spécifique de détention lors de son incarcération (Allemagne, Brésil, Canada, Italie).
En Italie, l’accompagnement des personnes protégées dans le cadre des convocations judiciaires le plus souvent dans leur ville d’origine est pris en compte dans le cadre du programme, dans la mesure où il s’agit d’un moment très à risque pour l’individu et pour son escorte. Au premier semestre 2011, le Service central avait procédé à 4.209 accompagnements dans des tribunaux pour des collaborateurs et 131 pour des témoins. Toutefois, hors les cas où le juge considère comme absolument nécessaire la présence physique de la personne sous protection, le recours aux moyens techniques appropriés est privilégié telle que la visioconférence. En cas de changement d’identité du protégé, l’examen à distance est obligatoire sauf avis contraire du juge et son audition ne doit pas permettre de révéler son visage. Ce sont ainsi sur la période précitée, 1.532 citations de collaborateurs qui ont été effectuées par visioconférence.
Les mesures de protection liées à l’identité et à la résidence
Dès lors qu’est accréditée la circonstance de grave danger, des mesures de protection peuvent s’appliquer au-delà de la fin de la procédure pénale et tant que le danger demeure. Ces mesures de protection portent le plus souvent sur l’identité et la résidence du repenti. Des mesures de transfert de résidence existent dans de nombreux pays (Allemagne, Brésil, Etats-Unis, Italie, Royaume-Uni, Pays-Bas). Des mesures de changement d’identité avec délivrance de « vrais faux » papiers sont également prévues dans la plupart des pays étudiés (Allemagne, Canada, Espagne, Pays-Bas, Etats-Unis, Royaume-Uni, Allemagne), ces mesures pouvant aller jusqu’au recours à la chirurgie esthétique afin de modifier l’apparence physique (Allemagne).
En Italie, la mise en danger de la personne protégée soumise à un plan provisoire ou à un programme de protection justifie de pouvoir lui fournir des documents officiels permettant de le couvrir aux yeux des tiers. La délivrance de ce titre par les autorités compétentes est alors enregistrée conformément à la loi. Ce sont ainsi 88 cartes d’identité, 323 cartes médicales et 35 permis de conduire qui ont été délivrés au cours du premier semestre 2011. Le changement d’état civil n’a en revanche aucun effet sur le casier judiciaire qui sera dupliqué sur la nouvelle identité. Une allocation de subsistance peut être versée dans l’hypothèse où la personne protégée n’est pas en mesure de travailler. Les allocations de subsistance représentent la dépense principale des programmes de protection.
Aux Etats-Unis, l’effacement total de l’identité de la personne est privilégié. Le programme de protection permet au repenti et à sa famille de disposer d’une nouvelle identité. Ceux-ci sont souvent d’abord placés dans un lieu sûr le temps que toutes ces démarches soient effectuées. Lors de l’arrivée d’un repenti dans une nouvelle région, les Marshals préviennent les autorités locales du nouveau de lieu de résidence de l’arrivée du repenti et leur révèlent son passé judiciaire. Ils aideront la personne à s’installer dans son nouveau lieu de résidence en lui trouvant des offres d’emploi, un logement, en lui versant un somme d’argent (60.000 $ par an), des nouveaux papiers d’identité et un suivi psychologique si nécessaire. Ils lui procureront aussi un système de sécurité 24h/24 au début, si sa situation présente un grand danger. Les personnes désirant interroger le témoin doivent prévenir les Marshals 10 jours à l’avance, et le feront dans un lieu neutre dans lequel ils seront amenés par les Marshals. Une fois déplacé dans leur nouveau lieu de résidence, le témoin et sa famille ne peuvent jamais revenir. Ils ne peuvent plus avoir de contact avec les membres de la famille ou amis non protégés. Le repenti doit activement chercher du travail, faute de quoi le gouvernement arrêtera de verser son aide. Selon les services des Marshals, aucun témoin ayant respecté les règles n’a été trouvé, blessé ou tué. Une fois qu’il s’est installé, le témoin doit contacter les autorités gouvernementales une fois par an et s’il désire déménager. Depuis la mise en place de ce programme en 1970, 8.300 personnes (témoins ou repentis) ainsi que 9.800 membres de leur famille ont fait l’objet de mesures de protection.
Les mesures d’aide à la réinsertion
Dans l’ensemble des pays étudiés, des mesures d’aide à la réinsertion des repentis existent. Elles peuvent consister dans le versement d’une somme d’argent, dans un accompagnement à la recherche de logement ou d’emploi ou dans la mise en place d’un soutien psychologique.
En Allemagne, une aide financière à l’établissement dans un autre pays pour la personne concernée et sa famille est prévue. Au Canada, la prise en charge financière d’une « relocalisation » du repenti est prévue. Aux Etats-Unis, lors de l’arrivée d’un repenti dans une nouvelle région, les Marshals aideront la personne à trouver un nouveau logement. En Espagne, les repentis peuvent, à l’issue du procès et à la demande du Ministère Public, se voir accorder une aide pour leur permettre de déménager. Au Brésil et au Canada, des versements mensuels peuvent être instaurés au bénéfice du repenti. Dans ce dernier pays, ces versements sont de l’ordre de 400 $ par semaine maximum et pour une durée maximale de deux ans. Aux Etats-Unis, la somme annuelle peut atteindre 60 000 $. En Italie, il a été constaté que les documents d’identité de couverture pouvaient s’avérer préjudiciables dans la mesure où ils ne permettaient pas de procéder à des formalités indispensables dans le cadre d’une embauche, l’ouverture d’un compte bancaire ou le paiement de salaires. La mesure la plus efficace pour apporter une certaine autonomie financière et assurer un projet professionnel s’avère être le versement d’un capital.
Dans tous ces pays, une aide à la recherche d’un nouvel emploi est assurée. Le Brésil a également prévu de libérer à titre provisoire de ses obligations professionnelles le repenti qui occupait un poste de militaire ou fonctionnaire public sans suspension de sa rémunération.
La mise en place de mesures de suivi psychologique est également rapportée en Allemagne, aux Etats-Unis et au Brésil.
2.3 Le financement des mesures de protection
Les sources de financement diffèrent d’un pays à l’autre et leurs coûts sont toujours très importants.
Au Canada, l’octroi de crédits peut résulter d’un vote du Parlement, de « crédits discrétionnaires » d’un ministre ou encore de crédits spécifiques gérés par un service de police ou une agence responsable. Dans tous les cas, il est indispensable que ces mesures reçoivent l’appui de l’État, afin que les personnes chargées de la protection des témoins repentis puissent profiter de la collaboration de toutes les divisions et les agences du gouvernement susceptibles d’être concernées par leur mise en œuvre.
Au Royaume-Uni, les mesures de protection sont financées par le Ministère de la Justice, même si ce sont les services de police locaux qui en assurent l’exécution.
Au Brésil, les programmes de protection étant réservés aux témoins et victimes, les mesures de protection des « mis en cause collaborateurs » seront prises en charge financièrement par les tribunaux qui les auront sollicitées. S’agissant des personnes « mises sous protection » qui entrent dans le cadre d’un programme de protection, les dépenses reviendront à l’Etat fédéral ou aux Etats fédérés selon le type d’infractions commises. Toutefois, malgré une mise en œuvre cloisonnée, il n’en reste pas moins qu’il existe une souplesse permettant aux conseils délibératifs de procéder à des permutations de personnes sous protection, ce qui en pratique leur permet de changer leurs protégés d’Etat de résidence à frais constants.
De façon générale, la mise en œuvre des mesures de protection et de réinsertion des témoins repentis est extrêmement coûteuse.
Au Royaume-Uni, eu égard au caractère de protection absolue dont doivent bénéficier ces témoins, le Ministère de la Justice refuse de communiquer les sommes consacrées à leur protection. Un rapport du Home Office daté de 2005 a néanmoins établi que le coût de protection d’un témoin et de sa famille était évalué entre 10 000 et 50 000 livres par an.
En Allemagne, il n’existe pas de chiffres consolidés au niveau national, les différents budgets de la police des Länder étant extrêmement hétérogènes. Néanmoins, à titre d’exemple, en 2010, dans le Land de Hambourg, les dépenses de protection des témoins et des victimes s’élevaient à 8,7 millions d’Euros. Il est estimé qu’en Allemagne, entre 300 et 400 personnes par an (repentis et témoins) sont concernées par des mesures de protection.
En Italie, les programmes de protection prévoient des mesures telles que la prise en charge de l’installation dans un logement, le déménagement, les dépenses médicales, l’assistance légale ainsi qu’une allocation de subsistance dans l’hypothèse où la personne protégée n’est pas en mesure de travailler. L’importance de cette allocation est fixée par la Commission centrale qui au terme de la loi ne peut pas dépasser un montant égal à cinq fois l’allocation sociale plafonnée à 3.222 €. Toutefois, ces sommes très élevées ne correspondent pas en pratique aux sommes allouées par la Commission centrale. En effet, les informations recueillies de manière informelle indiquent un montant moyen de l’ordre de 1.500 €. Le montant est fixé en fonction notamment des charges de famille. Dans un cas particulier récent, un protégé bénéficiant d’une protection par les Etats-Unis a pu lors de son transfert en Italie bénéficier du maintien de son allocation américaine bien supérieure à celle ordinairement attribuée. Il existe par ailleurs la possibilité d’allouer un capital, qui permet de cumuler les allocations de subsistance sur la base d’un projet professionnel solide. Cette mesure doit être autorisée par l’autorité judiciaire. Ainsi au cours du 1er semestre 2011, la Commission a accordé à quatre reprises le versement d’un capital aux fins de réinsertion sociale du bénéficiaire et de sa famille. Ces mesures se sont accompagnées d’un arrêt concomitant des mesures de protection. En effet, afin de garantir un équilibre dans les charges globales du programme de protection, les sorties régulières du programme sont indispensables. D’un point de vue plus large, au cours du premier semestre 2011, le coût global des mesures de protection a atteint 15.700.103 € dont 67% dévolus au versement de l’allocation de subsistance laquelle constitue la dépense prioritaire du programme de protection. En 2010, les dépenses sur l’année s’élevaient à 33.209.554 €.
S’agissant des seules mesures d’escorte, celles-ci mobilisent des moyens humains particulièrement importants. Sur la même période du 1er semestre 2011, ont ainsi été mobilisés : 7.164 escortes de carabinieri (gendarmes) engageant 15.499 hommes pour un coût de 1.148.374 € , 3.292 escortes de policiers engageant 7.032 hommes pour un coût de 1.238.855 €, 1.088 escortes de la garde des finances engageant 2.591 hommes pour un coût de 127.604€, soit un total de 11.544 escortes, 25.122 hommes pour un coût de 2.514.833 €.
Il convient enfin de souligner qu’en Italie, le nombre croissant global de personnes bénéficiant de programmes de protection (collaborateurs, témoins et familles) devient une difficulté au regard de la gestion des procédures et de leur durée longue qui contrevient à l’idée initiale du législateur d’en faire un instrument provisoire. Cette difficulté se conjugue avec des efforts budgétaires toujours plus importants à réaliser notamment au regard de la spending review en cours en Italie. Le budget en 2011 s’élèverait à environ 300.000 millions d’euros et serait en diminution cette année (source informelle).