Sommaire
1 – Constitution et système institutionnel
La Jordanie (Royaume hachémite de Jordanie, en arabe al-Urdunn) est une monarchie constitutionnelle.
La Constitution de la Jordanie a été adoptée le 1er janvier 1952 et a été modifiée à trois reprises (et pour la dernière fois en janvier 1984). Elle définit le fonctionnement du régime monarchique héréditaire du Royaume avec le système parlementaire représentant la population. Le pouvoir émane et appartient au peuple (art. 24). La souveraineté populaire y est donc proclamée. La Constitution précise la séparation des pouvoirs au sein de l’État (exécutif, législatif et judiciaire), les droits et les devoirs des citoyens et d’autres règles constitutionnelles.
La Charte du 9 juin 1991 rétablit le multipartisme (supprimé en 1957).
L’Islam est par ailleurs proclamé religion d’Etat (art. 2 Constitution).
Le pouvoir exécutif est exercé par le Roi, chef de l’Etat, et par son Conseil des ministres présidé par le Premier ministre qui est responsable devant le parlement. La chambre des députés peut voter une motion de « défiance » à l’égard du cabinet ou de l’un de ses ministres, à la majorité absolue de ses membres. Le Roi nomme les membres du Conseil des ministres et les révoque à la demande du Premier ministre. Le Roi est inattaquable et irresponsable ; il signe et promulgue les lois. Il possède un droit de veto qui ne peut être neutralisé que par un vote du Parlement à la majorité des 2/3 de chaque chambre.
Le pouvoir législatif est détenu par le Roi et par un Parlement composé du Sénat (Majlis al-Ayan) et de la Chambre des députés (Majlis al Nuwab). Le Sénat est composé de 40 sénateurs nommés par le Roi pour un mandat de 4 ans. Il a peu de pouvoir. La Chambre des députés compte 80 sièges ; certains sont réservés aux femmes et aux représentants des différentes religions et ethnies. Les députés sont élus au suffrage universel pour un mandat de 4 ans.
Le pouvoir judiciaire est exercé par les cours civiles, religieuses et spéciales. Aux termes de l’article 97 de la constitution « les juges sont indépendants ; ils ne sont soumis dans l’exercice de leur fonction qu’à la loi ». Les juges sont nommés par le roi.
2 – Système juridique
Le droit jordanien a subi des influences variées : droit ottoman moderne d’inspiration napoléonienne, droit égyptien, droit islamique, droit anglais, droit américain. S’il s’agit d’un système mixte, issu à la fois du droit continental et du droit musulman, prédomine toutefois la tradition romano-germanique.
Le corpus pénal est notamment inspiré du système inquisitoire romano-germanique. L’influence indirecte de la France dans le système juridique jordanien s’est manifestée au cours du temps à travers la formation de nombreux juristes jordaniens au sein des universités françaises, maghrébines, libanaises ou syriennes. Depuis la constitution de 1952, l’organisation judiciaire est directement calquée sur celle de la France.
Le droit relatif au statut personnel (filiation, mariage, divorce, successions) relève des tribunaux religieux, essentiellement musulmans. En ces matières, les décisions sont inspirées de la charia dans leurs motivations et font référence à la jurisprudence religieuse d’autres pays (Egypte ou pays du Golfe). La justice religieuse est rendue dans des délais relativement courts et fait l’objet de saisines de plus en plus fréquentes de la part des justiciables qui l’apprécient. Afin de remédier à l’augmentation importante des saisines, les pouvoirs publics ont envisagé la mise en place de bureaux de médiation familiale. Les juges religieux assurent aussi, dans certaines régions au sein desquelles la justice civile est difficilement réceptionnée, des fonctions de juges de paix.
Plusieurs dispositions de la Constitution concernent le droit pénal et la procédure pénale. Le principe de légalité des délits et des peines et de non rétroactivité de la loi pénale sont inscrits dans le code pénal.
L’article 55 du Code pénal classe les infractions en crimes, délits et contraventions. Les crimes sont passibles des peines suivantes : peine capitale, travaux forcés (à perpétuité ou pour une durée déterminée), emprisonnement (à vie ou pour une durée déterminée). Les délits sont passibles de peines de prison, d’amende ou de mise en liberté sous caution. Les contraventions sont passibles d’une détention de principe ou d’une amende. L’article 101 du code pénal affirme le principe de la présomption d’innocence et celui de la publicité des débats.
Le droit jordanien a prévu des incriminations particulières visant les agissements terroristes aux articles 147 et suivants du Code pénal. Ces incriminations sont parfois retenues par la jurisprudence pour poursuivre les participants à des manifestations publiques considérées comme hostiles au régime, l’article 149 faisant notamment référence à ceux qui « portent atteinte aux institutions et au régime politique ». Le traitement des activités « terroristes », a été confié à une juridiction spéciale, la Cour de Sûreté de l’Etat. La majorité des magistrats qui y exercent leurs fonctions sont eux-mêmes des magistrats militaires, à l’exception de 6 magistrats civils, issus des juridictions de droit commun. Les jugements de la cour de Sûreté de l’Etat sont susceptibles d’appel devant la Cour de cassation. En matière de terrorisme, la durée de la garde à vue, habituellement fixée à 24 heures pour les autres infractions, peut être prolongée jusqu’à 7 jours.
Par ailleurs, la Jordanie a signé avec l’Union Européenne un accord d’association le 24 novembre 1997 dans le cadre de la Politique Européenne de Voisinage (PEV). L’UE a pour mission d’aider la Jordanie à mettre en œuvre son processus de réforme interne.
3 – Organisation judiciaire
L’article 99 de la Constitution distingue trois catégories de tribunaux :
>> Les tribunaux civils, « magistrate courts », comprennent les tribunaux de première instance, les cours d’appel et la Cour Suprême (ou Cour de cassation). Ces cours ont une compétence générale puisqu’elles peuvent connaître de toutes les affaires civiles et pénales ainsi que des actions judiciaires menées contre le gouvernement (article 102).
La Cour Suprême est compétente pour statuer sur tous les appels dirigés contre les décisions des juridictions inférieures. Elle devient Haute Cour de Justice lorsqu’elle statue sur des recours formés contre des décisions administratives.
Il y a donc deux ordres juridictionnels : la Cour Suprême et les tribunaux inférieurs qui composent l’ordre judiciaire, et la Haute Cour de Justice qui compose à elle seule l’ordre juridictionnel administratif puisqu’elle statue en premier et dernier ressort.
>> Les tribunaux religieux comprennent les tribunaux de la Shari’a qui appliquent le droit de la Shari’a (article 106) pour les musulman et les tribunaux des autres communautés religieuses (article 104) pour les non-musulmans. Ces tribunaux religieux connaissent deux degrés de juridiction : les tribunaux religieux de première instance et ceux d’appel. Ces juridictions ne sont compétentes que pour statuer sur le droit des personnes (mariage, divorce, filiation, successions…).
>> Les tribunaux spéciaux sont variés : la Court of Income Tax ; la Police Court (tribunal concernant la police) ; la cour de Sûreté de l’Etat (CSE). Cette cour militaire unique (State Security Court) qui succède aux tribunaux militaires supprimés en 1991 se compose de juges civils et militaires. Elle est compétente pour les affaires touchant à la sécurité nationale mais également pour les affaires de stupéfiants. Elle est très critiquée car elle juge aussi bien des civils que des militaires. En outre, la procédure devant cette Cour n’offre pas toutes les garanties juridictionnelles classiques.
La Jordanie connaît aussi l’arbitrage depuis plusieurs décennies ; très utilisé en matière commerciale.
La société jordanienne est fortement marquée par la justice tribale. Si elle a été officiellement interdite en 1976, elle continue de jouer un rôle important en amont du dépôt de plainte ou de la saisine d’un juge. L’intervention des familles ou des sages contribue certes à diminuer le nombre de recours, mais empêche dans le même temps le pouvoir judiciaire de jouer pleinement son rôle dans les affaires mineures.
La justice pénale est ainsi parfois instrumentalisée par les conflits entre membres des tribus qui négocient souvent entre eux l’issue des procès. Ce phénomène est largement amplifié par une certaine faiblesse du parquet qui n’est pas en mesure d’imposer une véritable politique pénale en privilégiant l’intérêt de la société au détriment de celui des tribus.
>> La composition du Parquet est définie par l’article 14 de la loi de 2001 sur la composition des cours. En vertu de ces dispositions, le Chief of the Public Prosecution est nommé au sein de la Cour de cassation et y exerce les fonctions de poursuite. A l’échelon inférieur, un procureur général, dont les compétences sont définies par la loi, est nommé pour chaque cour d’appel. Ensuite, des Public Prosecutors, dont le nombre varie, sont nommés dans les tribunaux de première instance.
Le Chief of the Public Prosecution et les procureurs généraux peuvent également avoir des assistants.
Le ministère public poursuit indistinctement les affaires courantes et celles relevant d’une criminalité plus sophistiquée.
Enfin, tous les membres du ministère public sont également des juges. En conséquence, ils ne reçoivent aucune directive du pouvoir exécutif et n’ont pas de réelle autorité sur les services de police.
4 – Formation des magistrats et des personnels de justice
>> Les magistrats
• Créé en 1998 à la suite de l’institut jordanien de formation des juges, l’Institut Judiciaire de Jordanie (IJJ) organise et dispense la formation -initiale (sanctionnée par un diplôme d’études judiciaires) et continue- des juges et procureurs.
L’accès à l’institut est autorisé aux juristes de moins de 35 ans, titulaires d’une licence en droit, aux greffiers ayant une expérience professionnelle d’au moins deux ans, aux avocats ayant au moins trois ans de barreau et ayant passé avec succès un test officiel d’admission.
Depuis 2007, le recrutement des juges se fait principalement par le biais des universités. Les meilleurs étudiants sont sélectionnés dès la première année de droit et s’engagent vis-à-vis du gouvernement jordanien à devenir magistrats. Ce nouveau mode de recrutement a permis un accès plus important des femmes au corps de la magistrature. En 2010, les femmes représentaient 6% du corps de la magistrature.
• Le Haut Conseil Judiciaire (« Higher Judicial Council »), régi par la loi n°15 de 2001 sur l’indépendance judiciaire est l’équivalent du Conseil Supérieur de la Magistrature en France. Il est composé de 11 membres non élus, tous magistrats. Le Président de la cour de cassation est président, nommé par décret royal. En matière de recrutement, son rôle est formel dans la mesure où l’exécutif établit la liste des juges devant être nommés. En revanche, il affecte les juges en fonction des besoins. En ce sens, il est chargé de la gestion de l’appareil judiciaire, de la nomination, de la mutation, de la discipline et de la gestion des carrières des magistrats.
L’Inspection Judiciaire a pour mission principale d’évaluer les magistrats et d’examiner les plaintes des justiciables contre ces derniers.
>> Les avocats
Les avocats doivent être inscrits au barreau et être membres de l’Association des Avocats Jordaniens. Le barreau jordanien comprend entre 8 000 et 9 000 avocats en 2014, contre 1500 en 1990. Cette croissance a accompagné celle des facultés de droit qui ne sont pas encadrées par un numerus clausus. Ils sont sans doute moins de la moitié à exercer réellement et le barreau envisage de créer des Instituts de formation, en s’inspirant notamment de la formule française du CAPA, pour recentrer la profession.
5 – Justice des mineurs
Les enfants représentent la moitié de la population jordanienne. Depuis quelques années, le gouvernement fait des efforts considérables pour assurer le respect de leurs droits. Plusieurs institutions ont été créées à cette fin (la National Task Force for Children et la national Coalition for Children, composées de 600 représentants de la société civile, du gouvernement et d’organisations internationales).
Selon la législation jordanienne, le droit de l’enfant d’être protégé contre la torture et autres peines ou traitements cruels ou dégradants est un droit fermement établi et reconnu, étant donné qu’il est interdit d’infliger une punition à un enfant, que ce soit à l’école, à la maison ou au travail. D’autre part, un plan national d’action pour les enfants (NPA) a été lancé et mis en place jusqu’en 2013. Ce programme vise à créer une « Jordanie pour les enfants » dans laquelle la loi et les politiques s’attacheraient au bien être mental et physique des enfants.
La loi n° 24 de 1968 relative aux mineurs et la loi n° 7 de 1983 la modifiant, précisent les mesures judiciaires qui peuvent être prises à l’encontre des mineurs. L’âge de la responsabilité pénale est fixé à l’âge de 7 ans, mais un projet de loi est à l’examen qui vise à le porter à 12 ans.
Selon les statistiques officielles, 11% des infractions commises dans le Royaume l’ont été par des mineurs (4258 en 2009 et 4573 en 2010). 75% concernent des atteintes aux biens. En 2008, près de 3500 mineurs ont été incarcérés dans des centres pour jeunes délinquants. Entre 50% et 80% des enfants placés récidivent. La mise en place de mesures alternatives à l’incarcération se heurte au manque de délégués de probation (une centaine pour l’ensemble du Royaume) qui, au surplus, sont démunis de moyens matériels et ne travaillent qu’à temps partiel.
• Une vaste réforme de la justice des mineurs est en cours depuis 2006.
Des tribunaux spécifiques (juvenile courts) ont été constitués pour juger les affaires concernant les mineurs. La réforme vise à renforcer les moyens de ces tribunaux afin de les rendre plus performants. La conduite des débats au sein de ces tribunaux est soumise à diverses conditions et restrictions. Notamment, ils sont tenus d’examiner les affaires avec célérité. Les tribunaux pour mineurs sont des juridictions sommaires dont les jugements ne peuvent être consignés dans le casier judiciaire de la personne condamnée. Les pouvoirs des tribunaux pour mineurs, ainsi que les lieux et dates de leurs sessions, sont clairement définis et leurs débats sont considérés comme confidentiels. Leurs jugements sont susceptibles de recours, d’appel ou de pourvoi conformément aux dispositions du Code de procédure pénale et les tuteurs naturels ou testamentaires peuvent intervenir dans les débats au nom des mineurs concernés. D’autre part, dans un souci de protection de la vie privée, la réforme a prévu qu’il était interdit de publier le nom du mineur traduit devant la juridiction.
Concernant les dispositions de procédure et de fond, le texte prévoit également les mesures suivantes : les mineurs ne doivent pas être menottés durant leur arrestation, sauf si celle-ci requiert l’usage de la force. La police doit notifier aux parents l’arrestation de leur enfant. S’ils ne sont pas inculpés pour un crime, leur garde à vue ne pourra excéder 48 heures. La responsabilité pénale des mineurs est fixée à l’âge de 12 ans. La procédure qui s’applique ensuite est la même que celle réservée aux adultes.
La loi ne prévoit aucune mesure pour que le mineur soit détenu séparément des adultes pendant le déroulement de la procédure. Concernant les peines prononcées, celles-ci sont moins sévères que celles réservées aux adultes : la loi recommande que la peine prononcée soit égale à 1/3 de celle qui s’appliquerait à un adulte pour la même infraction. La loi interdit par ailleurs qu’un mineur soit condamné à mort ou au travail forcé. Enfin, s’ils sont condamnés à une peine d’emprisonnement, les mineurs seront détenus dans des institutions différentes de celles des adultes.
• La mise en place d’une brigade des mineurs (Juvenile Police) confirme en sus l’intérêt grandissant des pouvoirs publics à l’égard de la justice des mineurs.
La Jordanie a ratifié la Convention internationale sur les droits de l’enfant. La Jordanie a également adopté un texte de loi en octobre 2014, applicable depuis le 1er janvier 2015, reprenant les principes internationaux sur la prise en charge des mineurs délinquants, parmi lesquels la spécialisation des intervenants et la priorité donnée aux réponses éducatives.
6 – Application des peines et système pénitentiaire
En décembre 2011, la Jordanie comptait 6.066 détenus, avec un taux de 95 détenus pour 100.000 habitants (population de 6.4 M. hab). (Chiffres International Centrer for prison Studies). On comptait, en septembre 2014, 14 établissements pénitentiaires (hors institutions carcérales pour mineurs) La population pénitentiaire totale (incluant les personnes placées en détention provisoire) à cette date s’élevait à 10 089 personnes. Sur cette population 4,6% étaient des femmes, et 44,4% les personnes placées en détention provisoire.
La loi sur les prisons n° 23 de 1953 et le Règlement des prisons n° 1 de 1955 prévoient les principales garanties qui assurent aux personnes condamnées le respect de règles humanitaires minimales au stade de l’application de leur peine.