Actions de groupe (de, ca, dk, us, fi, it, no, nl, pl, uk, se)
Introduction
Dans une première approche, commune aux pays qui l’ont adoptée[ref] Les pays objets de notre étude, qui ont introduit l’action de groupe dans leur législation, sont les suivants :[/ref], l’action de groupe permet au représentant d’un groupe de victimes identifiables, de défendre leur intérêt en justice, sans avoir préalablement recueilli leur accord, en vue de l’obtention d’un jugement qui pourra produire des effets juridiques à leur profit, si les victimes le désirent. Il existe, dans le monde, différents modèles d’action de groupe, qui peuvent être regroupés autour de deux grands systèmes : celui de l’Opt-out et celui de l’Opt-in. Les Etats-Unis, le Canada, la Finlande, la Norvège et les Pays-Bas appliquent le système de l’Opt-out, qui est la version la plus développée de l’action de groupe. Une personne physique ou morale peut représenter en justice un groupe de victimes sans avoir obtenu préalablement leur accord exprès. L’action introduite par le représentant pour le compte de toute une classe de personne ayant des droits identiques ou similaires aboutit au prononcé d’un jugement ayant autorité de chose jugée à l’égard de tous les membres de la classe, qui bénéficieront d’une réparation, sauf s’il peut être démontré que certaines victimes n’avaient pas été correctement informées de l’action ou mal représentées. La Pologne, l’Italie, le Royaume-Uni, et la Suède ont adopté le système de l’Opt-in, moins puissant dans ses effets. Les personnes victimes de griefs similaires ou homogènes ne peuvent être représentées en justice que si elles en ont donné leur accord. Le jugement n’aura alors d’effets qu’à l’égard des victimes qui ont expressément adhéré au groupe. Les victimes qui ont adhéré à l’action de classe ne peuvent alors plus agir individuellement[ref] Le Royaume-Uni connait deux grandes formes d’action collective : les Group Litigation Orders (GLO) et les Representative Actions (RA). Concernant les GLO, un groupe de victimes présentant des griefs similaires et représentés par un avocat, peuvent exercer une action collective après en avoir été autorisés par un juge. Dans l’hypothèse d’une RA, les victimes présentant un intérêt commun peuvent exercer une action de groupe, sans avoir même besoin d’en être autorisées par un juge.[/ref]. Au Danemark, et de façon très originale, c’est un double système qui est retenu, avec une prédominance pour le système de l’Opt-in.
Il existe aussi des actions voisines de celle de l’action de groupe que l’on peut retrouver dans certains pays.
Au Royaume-Uni et en Allemagne[ref] En Allemagne, où il n’existe pas d’action de groupe, certains procédés permettent de défendre collectivement en justice les intérêts d’un groupe de personnes. Les victimes doivent cependant, dans tous les cas de figure, s’être constituées individuellement parties au procès pour que la décision de justice rendue puisse créer, à leur profit, une obligation exécutoire à la charge de la partie perdante.[/ref] existe une procédure permettant de rendre un jugement modèle qui fera jurisprudence dans des cas similaires. Dans le premier pays, lorsqu’un tribunal est saisi d’un grand nombre de requêtes individuelles soulevant plusieurs questions de fait ou de droit communes, il peut décider de n’en juger qu’une seule particulièrement représentative, l’action modèle, et de suspendre les autres. La décision rendue fera jurisprudence sur les points en discussion restés dans les affaires en attente. Un système voisin, celui de la « procédure type » (« Musterverfahren ») existe dans le second pays, suite à une loi de 2005, dans la seule matière des marchés de valeurs mobilières. Une victime peut déposer une requête devant la Cour d’appel afin qu’elle se prononce par une « décision modèle », dont les points de fait et de droit tranchés, s’imposeront aux juridictions de première instance saisies d’affaires similaires, pour lesquelles la procédure a été suspendue dans l’attente de la décision modèle[ref] Cette procédure, introduite pour une durée limitée, jusqu’au 31 octobre 2012, a été utilisée dans l’affaire Deutsche Telekom, où 16.000 actions individuelles avaient été introduites et s’est avérée très utile dans l’affaire Daimler Chrysler, en ce que la décision modèle niant toute responsabilité de la société, a permis aux juridictions du fond de débouter rapidement les plaideurs. [/ref].
Il existe encore au Royaume-Uni la procédure de la Representative rule en vertu de laquelle un demandeur peut intenter une action en justice à la fois en son nom et au nom d’autres personnes. Les demandeurs ou défendeurs représentés doivent avoir le même intérêt que la jurisprudence apprécie à partir de trois critères qui sont un intérêt commun, un motif de plainte commun et une solution satisfaisante pour tous. Cette disposition demeure cependant peu utilisée.
Dans de nombreux pays, on retrouve enfin des modèles voisins de celui de l’action des associations qui agissent en représentation de victimes qui leur ont confié la défense de leur intérêt, ou bien encore la pratique des jonctions d’actions individuelles[ref] C’est le cas notamment de l’Allemagne, du Danemark, de la Lettonie, des Pays-Bas, du Royaume-Uni et de la Slovaquie.[/ref] .
Le domaine des actions de groupe est variable selon les pays. Au Canada, le recours collectif initialement cantonné dans la matière du droit de la consommation a vu son domaine d’application étendu à toutes les matières du droit. Il en est de même aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, où aucune liste n’est dressée par la loi. L’action de groupe a vocation à s’appliquer à toutes les actions, quel que soit leur domaine. Il peut s’agir notamment d’actions relevant du droit civil, commercial, administratif ou fiscal[ref] Depuis 2000, des actions collectives utilisant le « group litigation order » ont été entreprises dans les domaines les plus divers : la responsabilité des produits défectueux, les réparations en cas d’accidents ou de catastrophes, les maladies professionnelles, les mauvais traitements physiques ou mentaux, la réparation des dommages subis par les enfants dans les écoles, les demandes faites par les actionnaires, la défense de l’environnement, la protection des intérêts d’une catégorie sociale ou professionnelle, les contestations relatives au paiement des droits de timbre ou de TVA, la situation des employés civils en Irak.[/ref]. Aux Etats-Unis et en Italie, le champ d’application des actions de groupe, bien que large, est encadré. Dans le premier pays, le droit fédéral distingue quatre grands groupes d’actions, les deux premières concernant les matières particulières des droits fondamentaux et du droit du crédit, les deux dernières pouvant s’appliquer à toute matière juridique. Il s’agit des actions visant à représenter des individus dans la même situation concernant la protection de leurs droits civiques en vue de modifier une pratique ou d’imposer une action, des actions visant à éviter que les créanciers qui sont dans une situation similaire à celle d’un plaignant ne pâtissent de l’action que ce dernier a engagée[ref] Il s’agit d’une procédure destinée à rétablir l’égalité entre les créanciers.[/ref], des actions pour lesquelles la similitude de situation prédomine sur l’unicité des litiges -ce qui en fait un modèle rationnel et économique de traitement du contentieux-, et enfin des actions visant à éviter un risque de décisions contradictoires pour le défendeur. Dans le second pays, les actions peuvent encore être exercées dans des domaines variés. Il doit tout de même s’agir de litiges relatifs aux droits des consommateurs ou à des pratiques anticoncurrentielles[ref] Article 140 bis du Code de la consommation italien.[/ref]. En Pologne, l’action de groupe peut être exercée essentiellement en matière de protection des consommateurs, de dommages résultant de produits dangereux et en matière de responsabilité civile. En Suède, l’action de groupe peut être exercée dans les différentes matières du droit civil, mais en pratique elle s’applique aux matières du droit de l’environnement, du droit du travail et du droit de la consommation. En Finlande, les actions de groupe peuvent être exercées dans la matière du droit de la consommation.
Seront successivement examinées les conditions de recevabilité de l’action de groupe (I), la procédure (II) ainsi que les règles d’indemnisation (III). Enfin, sera dressé un bilan des actions de groupe (IV).
1 – Conditions de recevabilité de la class action
Si les critères applicables aux conditions de recevabilité de l’action de groupe, tels que l’intérêt commun ou la subsidiarité, sont le plus souvent similaires entre les pays, celui de la représentation, qui est au cœur de l’action de groupe, diffère sensiblement selon les législations.
1-1 Intérêt commun
Les Pays-Bas, la Pologne, le Royaume-Uni et le Canada retiennent le critère du grief similaire ou d’une situation de fait ou de droit communes aux victimes, tandis que les législations du Danemark, des Etats-Unis ou de la Suède exigent davantage, et notamment que les arguments juridiques des parties soient similaires.
Aux Pays-Bas, l’action de groupe, manifestée par la conclusion d’un accord préalable entre le responsable et les victimes, destiné à être homologué par un juge, réunit les victimes de dommages causés « par un ou des évènements analogues ». Au Royaume-Uni, l’action de groupe la plus courante, le Group Litigation Order, ne peut être exercée que dans la mesure où elle réunit les prétentions de victimes de griefs similaires liés à des questions de fait ou de droit. Les questions de fait et de droit doivent être communes ou connexes aux membres du groupe. Au Canada, il est exigé de la même façon que les questions de droit et de fait soulevées par les victimes soient similaires ou connexes. Aux Etats-Unis, la règle 23 du Code fédéral, plus exigeante, énonce deux conditions relatives à l’intérêt commun. A l’instar du système britannique, il est nécessaire que les membres de la classe partagent les mêmes questions de droit et de fait (Commonality requirement), et que leur demande repose sur le même fondement juridique. Mais, les arguments juridiques avancés par les parties doivent également être similaires (Tipicality requirement). Il incombe donc au représentant du groupe de défendre une unicité de raisonnement juridique. De façon voisine, au Danemark et en Suède, les éléments de fait ou de droit qui fondent les prétentions de chaque membre du groupe doivent être communs ou connexes. En Italie, l’article 140 du Code de la consommation[ref] Dans sa première version l’article 140 du Code de la consommation italien faisait référence à la notion de « droits identiques », qui était très critiquée par la doctrine, en raison de son caractère trop strict. La jurisprudence du Tribunal de Rome exigeait en effet que les droits des victimes aient la même origine, reposent sur le même fait générateur et qu’ils « induisent la vérification et la protection des mêmes questions de droit et de faits ».[/ref] protège les droits individuels homogènes des consommateurs et des usagers, notion qui semble regrouper une série de situations juridiques ayant en commun la majeure partie de leurs éléments constitutifs, sans exiger une identité parfaite. Il reste toutefois à la jurisprudence le rôle de dessiner les contours de cette notion de « droits homogènes », qui semble intermédiaire entre la notion de grief similaire adoptée au Royaume Uni et les critères de l’article 23 du Code fédéral américain.
1-2 Subsidiarité
L’action de groupe représente un réel intérêt lorsque les victimes sont trop nombreuses et risqueraient d’encombrer les prétoires si elles agissaient de façon individuelle. C’est en Amérique du Nord que le principe de subsidiarité est le plus étoffé.
Aux Etats-Unis, en effet, et par application du principe du Numerosity requirement, l’action de groupe doit être privilégiée dès lors que le nombre de personnes concernées par l’action rende en pratique impossible une représentation de chacun des membres du groupe devant la juridiction. La jurisprudence prend en considération tant l’importance du nombre des victimes, que leur dissémination géographique, leurs moyens financiers et le risque de contradiction entre les décisions qui seraient rendues si des actions individuelles étaient engagées. Privilégier l’action de groupe suppose aussi que les membres du groupe soient aisément déterminables. Au Canada, des exigences similaires existent à propos de la composition du groupe et de la nécessité de regrouper les demandes lorsque de trop nombreuses actions individuelles ou jonctions de dossier pourraient causer certaines difficultés au fonctionnement de l’appareil judiciaire. Au Royaume-Uni, de façon générale, il est fait droit à l’action collective lorsqu’aucune autre procédure ne doit paraître plus appropriée. L’action de groupe sera retenue lorsqu’elle permettra la gestion des dossiers de manière efficace et économe. Aux Pays-Bas, le nombre des membres du groupe doit être suffisant pour que l’action de groupe soit homologuée par le juge, mais aucun seuil n’est fixé par le législateur. Le Danemark et la Suède reprennent de façon générale le principe de subsidiarité.
1-3 Représentant
Selon les systèmes, c’est une victime (Etats-Unis, Italie), un groupe de victimes (Canada et Royaume-Uni), ou parfois même l’autorité judiciaire (Royaume-Uni) qui désignent le représentant, dont les qualités de représentation sont, dans tous les cas, examinées par un juge, lequel exerce dans certains pays (Canada et Etats-Unis) un contrôle strict. La qualité juridique du représentant est très variable selon les pays. Dans plusieurs pays (Canada, Danemark, Italie, Etats-Unis), le juge contrôle activement l’absence de conflits d’intérêts. L’Ombudsman peut représenter le groupe dans plusieurs pays (Danemark, Finlande, Pologne et Suède).
Au Royaume-Uni, ce sont les victimes qui désignent leur représentant, qui est un solicitor. Le juge vérifie seulement si le représentant a la capacité de coordonner les recours et de mener les poursuites au nom de toutes les victimes. En l’absence d’accord entre les parties, le tribunal peut aussi procéder de lui même à la désignation du représentant. En Italie, c’est un demandeur initial, simple consommateur lésé, qui a la possibilité de lancer une action de groupe, en donnant mandat exprès à une association de consommateurs ou à un comité d’entreprise auquel il participe, qui représentera toute la classe et les futurs adhérents. En vertu de l’article 140 bis alinéa 6 du Code de la consommation italien, le juge dispose du pouvoir de contrôler si le demandeur initial est en mesure de gérer[ref] La jurisprudence prend notamment en compte le patrimoine, les revenus et la capacité économique du demandeur pour faire face aux frais de procédure et en particulier à la publicité de l’action de classe.[/ref] les intérêts de la classe et dans la négative, de déclarer non-admissible l’action de groupe diligentée[ref] En Italie, le juge vérifie qu’il n’existe pas de conflits d’intérêts entre les membres de la classe et les demandeurs à l’action ou entre les divers membres de la classe.[/ref]. Au Canada, ce sont encore les victimes qui désignent le représentant du groupe, lequel peut être une personne physique, une personne morale de droit privé, une société ou une association. S’il est exigé du représentant qu’il assure une représentation la plus adéquate possible des membres du groupe, certains Etats, tels que l’Ontario, exigent davantage: le représentant doit préparer un plan pour l’instance qui repose sur une méthode efficace, faire toute diligence pour conduire l’instance au nom du groupe et tenir informés les membres du groupe du déroulement de l’instance[ref] Si au Canada, le juge vérifie l’absence de conflit d’intérêt, dans l’Etat de l’Ontario, la réglementation du recours collectif prévoit la possibilité de créer des sous-groupes dont les intérêts se distinguent sur certains points du groupe principal, chaque sous groupe ayant un représentant distinct.[/ref]. Aux Etats-Unis, par application du principe de l’adequacy of representation requirement, l’un des membres du groupe, qui souhaite regrouper les demandes des victimes procédant de la même cause, peut être autorisé à agir en tant que représentant. Ce représentant doit défendre correctement les intérêts de chacun des membres du groupe. Il doit être diligent, soulever les arguments nécessaires et disposer d’une bonne connaissance des faits. Il doit aussi nécessairement être un membre du groupe. Le juge vérifie par ailleurs l’absence de conflits d’intérêt. Aux Pays-Bas, les victimes peuvent encore être représentées par une fondation ou une association. Ce qui explique l’intervention des fondations, c’est la facilité avec laquelle elles peuvent être crées, et à faible coût. Elles constituent les vecteurs de transmission des procédures. En Suède, les victimes du groupe peuvent être représentées par une personne physique ou morale, une association ou encore par une autorité désignée par le gouvernement (Ombudsman). Le représentant doit être en mesure de couvrir financièrement les frais de la procédure. Au Danemark, il en est de même[ref] Au Danemark, il existe tout un processus de destitution du représentant, décidé par le juge, notamment en cas d’incompétence du représentant, de conflit d’intérêt, ou à la demande de la moitié des membres de la classe.[/ref]. L’Ombudsman est obligatoirement désigné, lorsque le système de l’Opt-out est retenu par le juge. En Finlande, seul l’Ombudsman a qualité pour représenter les membres du groupe. En Pologne, le représentant peut être un membre du groupe, ou encore l’Ombudsman.
2 – Procédure
Les règles de procédure sont le plus souvent assez similaires, qu’il s’agisse par exemple de l’absence de recours à des juridictions spécifiques ou de l’application des règles classiques régissant les frais de justice, à l’exception toutefois du mécanisme d’adhésion des victimes au groupe, qui selon les modalités choisies par les législateurs, peut avoir des répercussions sensibles sur l’économie des entreprises.
2-1 Juridiction compétente
Aux Etats-Unis, les actions de groupe peuvent être introduites devant les juridictions fédérales ou devant les juridictions étatiques[ref] Environ deux tiers des Etats disposent d’une action de groupe dont le régime est similaire au régime fédéral.[/ref]. En vertu du « Class Action Fairness Act » de 2005, destiné principalement à éviter les pratiques de forum shopping, sont de la compétence des juridictions fédérales, les affaires concernant un groupe d’au moins 100 membres, dont le montant du litige est supérieur à 5 millions de dollars hors intérêts et frais de procédure, et lorsque les victimes ou le défendeur ne résident pas dans le même Etat. Au Canada, au contraire, les recours collectifs relèvent exclusivement de la compétence des provinces. Dans la province du Québec, la Cour supérieure est exclusivement compétente pour connaître des recours et réfère les dossiers au juge en chef, qui fixe le district dans lequel le recours collectif sera exercé, en prenant en considération les intérêts des parties. En Italie, c’est le tribunal civil du chef lieu de la région où l’entreprise a son siège qui est compétent[ref] Il se réunit en formation collégiale. Il existe 11 tribunaux spécialisés, « tribunali delle imprese » à Turin, Gênes, Milan, Venise, Bologne, Florence, Rome, Naples, Bari, Palerme et Cagliari.[/ref]. Au Royaume-Uni, l’action procédurale relève en principe de la compétence des tribunaux ordinaires en fonction de l’importance du ou des litiges (High Court, County Court…). Aux Pays-Bas, la compétence juridictionnelle est celle de la Cour d’appel d’Amsterdam. Toutefois, en ce qui concerne la protection du consommateur, c’est la Cour d’appel de La Haye qui est compétente. En Suède, les actions de groupe sont jugées par les Cours de district. En matière environnementale toutefois, il s’agit de juridictions spécialisées.
2-2 Introduction de l’action
Dans la majorité des pays, une ordonnance autorisant l’action de groupe est rendue dans le cadre d’une audience préliminaire, qui permettra le plus souvent de filtrer les demandes et parfois de planifier les grandes étapes de la procédure au moyen d’un registre (Canada, Royaume-Uni, Suède). Aux Pays-Bas, de façon originale, la procédure introduite devant le juge consiste essentiellement à homologuer un accord préalable passé entre le responsable du dommage et le représentant des victimes et à conférer à cet accord un effet vis-à-vis des tiers, victimes du même dommage.
Au Royaume-Uni, une demande d’autorisation d’action de groupe[ref] La demande d’ordonnance d’action de groupe doit contenir : le résumé de la nature du litige, le nombre et la nature des actions en justice individuelles déjà déposées, le nombre et la nature des actions en justice susceptibles d’être déposées, les questions de fait ou de droit communes susceptibles d’être soulevées par le litige, l’énoncé des points qui permettent de distinguer des sous-groupes de demandeurs.[/ref] doit être formulée à un juge par l’une des parties qui a déjà saisi un juge du fond à titre individuel, le plus souvent le sollicitor, qui représentera le groupe. Le tribunal peut aussi, de sa propre initiative, rendre une ordonnance d’autorisation d’action de groupe. Si l’ordonnance d’autorisation est rendue, un registre de groupe contenant toutes les actions gérées collectivement doit être établi, ainsi qu’une liste des questions de fait et de droit et des instructions relatives à la publication de l’ordonnance. L’affaire est alors confiée à un juge gestionnaire souvent assisté d’un Master (juge spécialisé en matière civile qui procède aux auditions) et d’un Cost Judge pour les aspects financiers. En Italie, le demandeur initial à la procédure d’action de groupe, le plus souvent un consommateur qui donnera mandat à une association, devra présenter au juge lors d’une audience préliminaire les raisons de son action. Cette audience qui sert de filtre aux actions manifestement infondées, permet d’éviter une exposition injuste de l’entreprise à une publicité qui peut s’avérer fort préjudiciable. Aux Etats-Unis, la procédure débute par une audience préliminaire de certification, qui a pour objet d’analyser les critères de recevabilité de l’action de groupe[ref] Certaines juridictions n’hésitent pas à renverser la charge de la preuve en sollicitant du défendeur les éléments qui permettent de contester les critères, créant ainsi une véritable « présomption de groupe ».[/ref] invoqués par le demandeur. Des questions de fond peuvent déjà être abordées à ce stade. La juridiction rend une décision motivée, susceptible d’appel. Une « dé-certification » ultérieure sera possible, si le juge estime que les conditions relatives à l’action de groupe ne sont plus réunies. Au Canada, de la même façon, la demande de recours collectif fait l’objet d’un examen dans le cadre d’une audience préliminaire, au cours de laquelle parmi l’ensemble des critères de recevabilité, une attention particulière doit être portée par le juge sur la recherche d’une apparence sérieuse de droit justifiant le recours, ce qui traduit déjà un examen du dossier sur le fond. Dans la province du Québec, et à l’instar du Royaume-Uni, un registre central des recours collectifs est ouvert, permettant d’obtenir des informations sur les recours collectifs. Les défendeurs sont privés, à ce stade de la procédure, du droit d’interroger les requérants ou de fournir des preuves et ne peuvent présenter de contestation qu’à l’oral. Aux Pays-Bas, l’accord soumis à l’appréciation du juge doit comprendre un certain nombre d’informations sur le nombre estimé des membres du groupe, les règles de compensation, la description du groupe et le caractère sérieux des pertes. Le juge peut demander aux parties de compléter l’accord ou de le modifier. En Suède la demande d’action de groupe contient les noms et adresses des membres du groupe, ainsi que des informations sur leur situation commune (par exemple les passagers d’une ligne de transport).
2-3 Exercice de l’action collective
Dans tous les pays, l’adhésion à l’action de groupe a pour effet d’empêcher la victime d’agir individuellement par la suite. Cependant, le mécanisme juridique d’adhésion n’est pas le même selon les législations. C’est dans les pays qui retiennent le système de l’Opt out que la question est la plus sensible, compte tenu de la difficulté de pouvoir informer les victimes de l’existence d’une action de groupe et de ses implications en termes de coût budgétaire.
Au Royaume-Uni s’applique le système de l’Opt-in. Tous les requérants qui souhaitent se joindre au groupe doivent se déclarer et s’enregistrer en tant que partie au groupe au sein du registre du groupe géré par le juge gestionnaire, avant une date butoir spécifiée par ce dernier. C’est encore le système de l’Opt-in, avec un délai butoir pour adhérer, qui s’applique en Finlande, en Italie, en Pologne[ref] La publicité de l’action de groupe est généralement réalisée dans un journal national particulièrement lu. La loi impose un certain nombre de mentions telles que le nom de la juridiction, le type d’affaire, des informations sur les formalités à remplir pour se joindre au groupe.[/ref] et en Suède. Au Québec, Ontario et aux Etats-Unis, où s’applique le système de l’Opt-out, les victimes se trouvant dans la même situation sont inclues dans le groupe par défaut, sauf volonté contraire de leur part. Dans ce système une importance primordiale est accordée à la publicité de l’action. C’est le juge qui décide les modalités de la publicité[ref] Aux Etats-Unis, la jurisprudence de la Cour suprême distingue selon que les membres potentiels du groupe soient ou non connus. Dans le premier cas, un courrier ciblé doit être envoyé aux victimes, quel que soit leur nombre, tandis que dans le second, la publicité peut être réalisée à l’aide des moyens de communication modernes tels qu’un avis dans les journaux, à la télévision, à la radio ou sur internet.[/ref]. Aux Etats-Unis, l’avis, qui doit être compréhensible, et dont la charge financière est en principe supportée par le plaignant, doit être soumis à la juridiction avant envoi. Aux Pays-Bas, le jugement d’homologation de l’accord fait l’objet d’une publication dans plusieurs journaux, qui précise notamment le délai dans lequel les personnes concernées doivent réclamer leurs droits. Il est en outre adressé à tous les membres de la classe avec une adresse connue. Chaque victime potentielle dispose en principe du droit de ne pas adhérer à l’accord dans un délai de trois mois. Au Danemark, qui retient en principe le système de l’Opt-in[ref] Une prolongation du délai d’option peut être décidée par le juge in concreto (en présence de difficultés de transmission des notifications).[/ref], l’Opt-out sera élu en présence d’un trop grand nombre de victimes, les formalités de notification devenant trop onéreuses.
2-4 Frais de l’instance
Dans l’ensemble des pays, le coût de l’action de groupe est important et la répartition de la charge des coûts variable, bien que dans la majorité des cas, il incombe à la partie demanderesse de supporter les frais d’avocat. Des accords préalables sur les frais et les dépens peuvent être autorisés par la loi (Canada), tandis que dans d’autres pays, le coût des honoraires d’avocat peut être contrôlée par un juge, selon des critères légaux (Etats-Unis) ou de façon (Royaume-Uni).
S’agissant des honoraires d’avocat, aux Etats-Unis, une réforme de 2003 a confié au juge le pouvoir de valider les honoraires d’avocat « raisonnables », dès lors qu’ils sont autorisés par la loi, et qu’il y a eu agrément avec les parties. Les honoraires sont calculés au prorata du montant des dommages et intérêts (50% au maximum) ou, moins fréquemment, selon la méthode du point de repère, consistant à multiplier le nombre d’heures de travail « raisonnablement » passées par les avocats, par un salaire horaire raisonnable[ref] Sont pris en considération le risque pris par le cabinet en défendant le dossier, la qualité du travail fourni, la complexité des points de droit et de fait et le résultat obtenu. De l’avis de la doctrine cette méthode encourt le risque d’encourager un travail moins efficace des avocats, tentés de multiplier les heures à facturer.[/ref]. En Ontario, le « Class Proceedings Act » de 1992 prévoit la possibilité d’un accord sur les frais et les dépens entre le représentant du groupe et l’avocat, mais uniquement en cas de succès du recours. L’avocat du recours collectif assume donc un risque économique substantiel[ref] Au Québec, une aide financière peut être apportée aux victimes par le fonds d’aide au recours collectifs.[/ref]. En Italie, où il n’existe pas de système d’aide juridictionnelle spécifique, c’est le demandeur à l’action qui doit supporter les coûts de la procédure[ref] Les coûts peuvent être supportés parfois par une association de consommateurs, ou bien encore provisoirement par le cabinet d’avocat en application d’une convention d’honoraire. Rien ne semblerait interdire non plus au consommateur qui initie l’action de solliciter des futurs adhérents le versement d’argent au moment de leur adhésion.[/ref], lesquels peuvent être très élevés, en particulier les frais de publicité. Au Royaume-Uni, la détermination des frais d’instance, qui sont encore très conséquents, relève du pouvoir d’appréciation du juge et il n’existe pas de système d’aide juridictionnelle spécifique aux actions de groupe. Les personnes disposant de faibles revenus peuvent disposer de l’aide juridictionnelle de la part du Legal service Commission[ref] Sont pris en compte les revenus et le patrimoine du demandeur, ainsi que l’opportunité de la demande. Le requérant peut aussi bénéficier en parallèle d’une assurance « legal expenses insurance ». [/ref]. Les frais d’instance sont à la charge de la partie perdante, selon l’adage « losing party bears the winners costs ». Lorsque les frais sont supportés par le groupe, les membres du groupe sont responsables à proportion égale des frais communs[ref] Sont autorisés les conditional fee arrangements en vertu desquels les honoraires d’avocats sont fixés en fonction des résultats financiers du litige. La clause « uplift fee » permet de doubler ces frais en cas de succès.[/ref].
3 – Indemnisation
Les règles d’indemnisation empruntent le plus souvent aux mécanismes fondamentaux de la responsabilité civile applicables aux actions individuelles et ne traduisent aucune spécificité du droit des actions de groupe. Les actions de groupe constituent un terrain particulièrement favorable aux transactions.
3-1 Recouvrement des sommes
Dans plusieurs pays, le juge peut choisir entre un recouvrement collectif ou individuel (Canada, Italie, Royaume-Uni, Suède). Le préjudice n’est pas toujours évalué in concreto.
Au Royaume-Uni et en Italie, lors d’une condamnation à des dommages et intérêts[ref] En Italie, la décision est exécutoire par provision à l’issue d’un délai de 180 jours à compter de sa publication. Le paiement qui intervient pendant cette période est exempté de tout intérêt moratoire. Un recours suspensif d’exécution est ouvert devant la Cour d’appel dès lors qu’il est à craindre en cas d’infirmation que les sommes allouées ne soient pas restituées. La Cour peut toutefois solliciter une mise sous séquestre.[/ref], le juge peut déterminer lui-même le quantum attribué à chacune des victimes, en fonction de leur propre préjudice subi in concreto, ou bien, attribuer une somme globale au groupe, qui devra ensuite procéder à la répartition entre ses membres, selon une clef de répartition, un critère commun de calcul, fixé par le jugement qui tient compte du préjudice individuel subi par chaque victime. En Italie, de façon plus précise, la loi du 24 mars 2012 a introduit un mécanisme de médiation obligatoire afin de tenter de parvenir, dans un délai qui ne peut excéder 90 jours, à un accord sur la liquidation, à défaut duquel, les règles de répartition fixées par le juge prennent effet. Au Canada, le juge peut également ordonner soit un recouvrement collectif, soit un recouvrement individuel. Dans ce dernier cas, il peut ordonner la liquidation individuelle des réclamations des membres ou bien la distribution d’un montant à chacun d’eux. Aux Etats-Unis, les règles d’évaluation sont variables. La jurisprudence peut retenir une évaluation in concreto des préjudices, où chaque victime doit établir la preuve de son préjudice, ou bien une évaluation forfaitaire, notamment lorsqu’il est impossible d’évaluer individuellement chaque préjudice. En Pologne, chaque membre du groupe doit transmettre sa requête accompagnée d’une argumentation au soutien de ses prétentions, ce qui est assez exigeant vis-à-vis des victimes dans un système d’action de groupe.
3-2 Transaction
La transaction est très souvent utilisée dans la matière de l’action de groupe. Elle doit le plus souvent faire l’objet d’une validation par un juge (Canada, Etats-Unis, Royaume-Uni, Suède).
Aux Etats-Unis, la transaction est très utilisée. Elle doit nécessairement être approuvée par un juge qui vérifie son caractère juste, raisonnable et adéquat, au cours d’une audience publique[ref] En pratique, le juge prend en compte la nature de la demande, le contexte de la négociation, les questions de droit posées par le dossier, la position des membres du groupe et notamment si les parties estiment que l’accord est juste, la viabilité financière du défendeur, les coûts de la poursuite du litige et le moment de la transaction dans le processus judiciaire.[/ref]. Le juge ne dispose pas du pouvoir de modifier l’accord[ref] La réforme de 2003 permet au juge de conditionner son accord à la transaction à l’ouverture d’une nouvelle période d’Opt out pour les membres du groupe, ce qui permet à ceux qui le souhaitent de ne pas régler le litige de cette façon et d’exercer une action individuelle.[/ref]. Au Canada, la transaction doit également être approuvée par un juge et son approbation ne peut être accordée qu’à la condition qu’un avis soit donné aux victimes du groupe, les invitant notamment à faire valoir à la Cour leurs prétentions sur la transaction proposée. Au Royaume-Uni, la transaction est possible à tout stade de la procédure et doit encore être nécessairement homologuée par un juge. Toutefois, à la différence des deux précédents pays, elle ne lie pas nécessairement l’ensemble des parties, et n’empêche pas, pour ceux qui la refusent, la poursuite de l’action collective. En Italie, la transaction est également autorisée par la loi.
3-3 Modalités de réparation
Certaines législations prévoient des modalités de réparations très variées (Danemark, Etats-Unis, Finlande, Pologne, Royaume-Uni), d’autres n’offrent aux victimes que des mesures de réparation par équivalent (Canada, Italie, Pays-Bas[ref] Aux Pays-Bas, l’évaluation des dommages et intérêts est plutôt réalisée de façon objective sur la base des caractéristiques du groupe, et non en fonction des caractéristiques personnelles du demandeur. En outre les dommages et intérêts punitifs ne sont pas autorisés.[/ref]).
Au Royaume-Uni, la réparation du préjudice des victimes peut emprunter toutes les modalités classiques de réparation : versement de dommages et intérêts, injonctions de faire ou de ne pas faire, mesures déclaratoires[ref] Si la portée du jugement est limitée à la reconnaissance de la responsabilité du défendeur, des procédures individuelles pourront être intentées par les victimes, aux fins d’indemnisation de leur préjudice.[/ref] ou conservatoires, réparation en nature, à l’exception toutefois de la mesure consistant à annuler une réglementation. Une victime insatisfaite de la décision peut exercer un recours à l’encontre de celle-ci, à condition de soulever une erreur de droit ou de fait sérieuse. En Italie et au Canada, sont prévues seulement des actions aux fins d’indemnisation du préjudice subi et de restitution des sommes indument perçues par l’entreprise. Aux Etats-Unis, les modes de réparations ne sont pas uniformes. Selon les juridictions, les victimes peuvent bénéficier d’une réparation par équivalent, sous forme de dommages et intérêts, ou d’une réparation en nature, sous forme par exemple, de bons de réductions pour des achats futurs.
4 – Bilan des actions de groupe
Le droit comparé des actions de groupe permet, lors de l’étude d’un bilan, de mesurer que le coût économique des procédures d’action de groupe demeure l’une des principales difficultés régulièrement rencontrées.
Dans plusieurs pays (Danemark, Italie et Pologne), l’action de groupe a été introduite récemment, ce qui empêche à ce jour la doctrine ou les praticiens de pouvoir réaliser un bilan précis. Dans l’ensemble des pays qui disposent de l’action de groupe, les bilans d’application de ce concept, bien que variables, compte tenu de la diversité des systèmes, restent toutefois le plus souvent influencés par des considérations économiques, liées au coût des procédures. Mais l’argumentation relative à des dérapages, dans la fixation des dommages intérêts, n’a jamais pu être vérifiée de façon certaine.
Au Royaume-Uni, les condamnations prononcées à l’encontre des entreprises sont modestes et les frais de procédure élevés, ce qui freine le recours aux actions de groupe en raison de la règle selon laquelle les frais de justice sont à la charge de la partie perdante.
Au Québec, on remarque une tendance des juges à autoriser avec plus de réticence les recours collectifs, en raison notamment d’un accroissement du nombre des requêtes présentant des argumentations juridiques fragiles. Les juges auraient tendance à introduire un critère supplémentaire, relatif à l’opportunité de la demande. Le bilan économique et politique des recours collectifs reste très positif au Canada, en raison du fait notamment que l’action de groupe est une procédure, bien que longue, efficace pour faciliter l’accès à la justice du simple citoyen et à des coûts supportables, grâce à l’intervention du fonds d’aide aux recours collectifs.
Aux Etats-Unis, le juge a progressivement disposé de pouvoirs de plus en plus importants en matière d’action de groupe, et notamment en matière de représentation des parties, de communication entre les membres du groupe, de validation des transactions et de détermination du périmètre de l’autorité de la chose jugée. Le coût des class actions aux Etats-Unis pourrait représenter jusqu’à 1.5 point de PIB chaque année (210 milliards de dollars). Les class actions rapporteraient essentiellement aux cabinets d’avocats, et moins aux victimes dont le gain serait compris entre quelques centimes et 1.500 dollars[ref] Sources : Centre for Socio-legal Studies, university of Oxford, 2009.[/ref], et ce alors même que ce pays connait le système des dommages et intérêts punitifs.
En Italie, le bilan des actions de groupe est encore prématuré en raison du fait qu’il n’existe encore pas de décision sur la responsabilité et sur la fixation des dommages et intérêts. Depuis l’entrée en vigueur de la loi, 20 actions de classe ont été référencées, dont 4 admissibles et 9 non admissibles. La nécessité pour le demandeur à l’action d’être en mesure de faire face aux frais de publicité, ainsi qu’à la récolte des adhésions sont considérés comme un frein à cette procédure.